MAX MARCHAND, DE MOULOUD FERAOUN
ET DE LEURS COMPAGNONS
Postface au livre de Michel Kelle, « Cinq figures de l’émancipation algérienne »
De tous les ouvrages parus à l’occasion du cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie et de l’accession de ce pays à l’indépendance, le livre de Michel Kelle redonne au lecteur l’espoir de croire en l’Homme.
L’auteur a choisi en effet d’évoquer le parcours de cinq personnalités remarquables par leur engagement total, fort et pacifique en faveur du droit des Algériens à redevenir maîtres chez eux, après avoir été conquis férocement, puis maintenus sous le joug d’une domination coloniale implacable.
Le premier séjour de Germaine Tillion en 1934 dans les Aurès, où elle vit en symbiose avec une population affamée, est déterminant, car cette compassion à l’égard des Algériens qui souffrent ne la quittera jamais, expliquera son combat contre la torture et l’application de la peine de mort aux militants pour l’indépendance. À sa dénonciation du terrorisme algérien, il convient de rappeler la déclaration d’une militante qui a posé des bombes dans des lieux publics :
Quand Germaine Tillion est venue nous voir, dans notre cache de la Casbah, pour nous demander d’arrêter de poser les bombes, elle nous a traités de terroristes. Je me disais : on nous torture, on largue des bombes au napalm sur la population civile, on balance les prisonniers algériens vivants du haut des hélicoptères, et elle nous fait des leçons de morale !
Rappeler l’engagement total de l’abbé Bérenguer en faveur d’une Algérie souveraine démontre que se mettre au service du Christ c’est aussi se mettre au service d’hommes opprimés par un ordre injuste et qui veulent recouvrer leur dignité. Le curé de Montagnac épousera la cause de l’indépendance, il sera le représentant de l’Algérie en Amérique latine, sera membre de l’Assemblée nationale constituante algérienne en 1962, sans jamais renier sa foi chrétienne et sa nationalité française.
L’itinéraire d’André Mandouze « le conduit tout droit de la résistance au nazisme à la résistance au colonialisme comme à la lutte pour la paix ». Plusieurs citations rappellent les brûlantes condamnations de la politique de la France en Algérie de la part du grand spécialiste de saint Augustin, et elles méritent admiration tant ses interventions publiques ont mis en danger sa famille tout entière. La prison et les sanctions administratives n’entameront jamais sa détermination dans son combat pour la liberté du peuple algérien.
Le beau parcours de Charles Koenig reste plus classique que les trois précédents, même s’il demeure très intéressant de découvrir que ce pied-noir d’origine modeste, devenu instituteur puis maire de Saïda et conseiller général, a été membre de l’Exécutif provisoire en juillet 1962, organisme chargé de faire la transition entre la puissance coloniale qui s’en va et l’État algérien qui s’installe. Voilà un pied-noir, fonctionnaire de l’Éducation nationale, qui a participé à la création de l’État algérien. Mais c’est aussi un bel hommage rendu aux enseignants formés par l’école normale d’instituteurs, capables de contribuer à la naissance d’une nation.
Une large part est accordée à l’itinéraire de Mgr Pierre Claverie, original et admirable à bien des égards et l’auteur, par l’abondance des citations puisées dans les écrits et les déclarations de l’évêque d’Oran, ne cache pas la sympathie qu’il éprouve envers cet homme de foi qui, au nom des Évangiles, est resté fidèle au peuple algérien soumis à la barbarie de ses frères musulmans égarés comme aux crimes d’un état pervers, jusqu’à en mourir.
Il est bon, et Michel Kelle l’a fait avec justesse, de rappeler que dans ces périodes noires qu’ont traversé la France et l’Algérie, le courage a été la vertu première de ces cinq personnalités, animées d’idéaux les plus nobles, avec pour seule arme leur humanisme, leur intelligence et leur foi, chrétienne ou laïque.
Jean-Philippe Ould Aoudia
Texte paru dans Le Lien 64
Cinq figures de l'émancipation algérienne, Karthala, 2013, 25€