MAX MARCHAND, DE MOULOUD FERAOUN
ET DE LEURS COMPAGNONS
Périple de la douleur
Ulysse : Dis-moi nettement, ô
déesse, si j'évitais Charybde pour
m'attaquer à Skylla…
Circé : Tu ne vois toujours que
guerre et lutte !… Skylla ne peut
mourir ! C'est un mal éternel ! Un
monstre inattaquable !
I
Le seul pays où l'on s'égare
Ulysse ne l'a pas compris
Disjoint la trame et l'en sépare
Le cœur n'y bat qu'au ralenti.
Rapelle au soir de la faiblesse
Le rythme ancien de tes vingt ans
Pour qu'un arbre qui te confesse
Découvre ainsi le vrai printemps
Le printemps vrai de la misère
Des morts flottant hors des patries
Et des enfants sans Dieu ni père
Qu'un seul regard aura flétris.
II
La mer et l'horizon qui s'ouvre
Nos cœurs attelés au soleil.
Suis-je vivant ou mort
Dans la prison des heures ?
La pluie des souvenirs
Arrose en vain le sable
Mais j'écoute trembler la terre
Sous le galop fou de la vie !
III
Le monde est ce lit de cailloux
La vie s'écoule
Vous n'avez plus ni dents
Ni regard ni bouche
Et vos yeux coulent.
Vous n'êtes rien qu'un bras tendu plaie vive offerte aux mouches
En place du cœur
Un galet nu
Qui s'effrite si on le touche
Sans rêve et sans espoir
Au mur d'attente de la mort douce
IV
Vous pouvez torturer la chair
Et vous pouvez tordre les cœurs
Le chant retentira toujours.
Vous pouvez préparer
Mille instruments d'horreur
Mais vous n'extirperez jamais
De l'écorce vive de l'homme
La blanche amande de l'espoir.
Emmanuel Roblès
revue Simoun, numéro 32, 1960, p. 29-33.