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Et leurs têtes ?


Gravure de 1888
Gravure de 1888

Ce sont les oubliés du voyage en Algérie de François Hollande. Mohamed Lamjad Ben Abdelmalek, Cheik Bouziane, Bou Amar Ben Kedida, Si Moussa Al-Derkaoui, Si Mokhtar Ben Kouider Al-Titraoui, Aïssa Al-Hamadi, six résistants qui se sont battu avec courage et détermination contre le corps expéditionnaire français en Algérie au XIXe siècle.

Le premier, plus connu sous le nom de Chérif Boubaghla, « l’homme à la mule », fut l’initiateur dans le Djurdura et les Babors de la révolte qui porte son nom et qu’il dirigea jusqu’à sa mort, ainsi que le compagnon de Lalla Fatma N’Soummer. Aïssa Al-Hamadi était son lieutenant. En 1854, après avoir été dénoncé, « l’homme à la mule » est poursuivi par les frères Mokrani qui s’étaient alliés aux Français. Sa tête fut tranchée alors qu’il était encore en vie.

Le deuxième, Cheikh Bouziane, fut le chef de la révolte de l’oasis des Zaâtchas, qui a tenu en échec deux mois durant l’armée française dans ce qui fut l’un des combats les plus meurtriers de la conquête de l’Algérie. Le 26 novembre 1849, la population en paya le prix. La victoire des troupes françaises donna le signal d’un massacre général : un millier d’hommes, de femmes et d’enfants périrent, achevés à la baïonnette. Les têtes de Cheikh Bouziane, de son fils et celle de Si Moussa Al-Darkaoui furent empalées et exposées, d’abord dans le camp militaire des Zaâtchas, puis à Biskra, pour « convaincre les sceptiques de leur mort et servir d’exemple à ceux qui essaieraient de les imiter ».

Le troisième, Bou Amar Ben Kedida fut tué dans un combat sous les murs de Tebessa.

Les têtes, ce sont des « crânes secs », à l’exception de celle, momifiée, de Aïssa Al-Hamadi.  Il y en a 37 au total, entreposées avec d’autres restes mortuaires et le moulage intégral de la tête de Mohamed Ben-Allel Ben Embarek, lieutenant et alter ego de l’Émir Abd  El-Kader, dans de simples boîtes en carton rangées sur les étagères « d’énormes armoires métalliques grises aux portes coulissantes fermées à double-clé » quelque part dans les réserves du Muséum national d’histoire naturelle. C’est là que, après avoir « remué  ciel et terre » pour les retrouver, l’historien et chercheur algérien Ali Farid Belkadi finit par les découvrir en mars 2011.

Malgré l’exemple de la restitution des têtes maories depuis mai 2011, le précédent ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driancourt (remplacé à la veille de l’élection de François Hollande par le très sarkozyste André Parant), prétendit, lors d’un débat organisé le 6 février 2012 par le quotidien Algérie-News,  que leur restitution ouvrirait la voie à d’autres réclamations, comme celles de La Joconde ou de l’Obélisque de la place de la Concorde…

Pourtant, selon Philippe Mennecier,  directeur des collections au MNHN, rien ne s’oppose à ce que ces restes mortuaires soient rapatriés. Il suffirait que l’État algérien en fasse la demande officielle auprès de l’État français.

Aujourd’hui encore, rien ne semble avoir été fait dans ce sens, malgré la pétition initiée en mai 2011 par Ali Farid Belkadi et sa lettre adressée à Abdellaziz Bouteflika.

Ali Farid Belkadi signale également, dans une longue lettre adressée le 14 février 2012 à l’ambassadeur de France Xavier Driancourt, qu’il a pu accéder à des œuvres d’Horace Vernet « furtivement conservées dans les réserves du musée de Versailles ». L’une d’elle est une toile gigantesque montrant le pillage de tombes algériennes profanées par la soldatesque française brandissant des morceaux de cadavres au bout de leurs baïonnettes… Quand le public pourra-t-il observer les scènes d’horreurs coloniales que ce peintre, qui était pour Baudelaire « l’antithèse absolue de l’artiste » mais que Gautier considérait comme « le journaliste de la peinture », s’appliqua à reproduire lorsqu’il suivit le corps expéditionnaire à la recherche de « débris encore fumants », selon ses propres termes, après que Louis-Philippe l’eut choisi comme principal hagiographe de la conquête de l’Algérie ?

Anne Guérin-Castell
Texte publié le 23 décembre 2012 sur son blog de Mediapart
Voir également l'article publié sur le site de la LDH de Toulon.

Post scriptum

Après avoir lu sur Mediapart le billet de blog d'Anne Guérin-Castell, un Algérien qui vit au Canada a profité de sa venue à Paris pour demander à voir les restes mortuaires des résistants algériens conservés au MNHN. Il lui a été répondu qu'il n'y en avait pas…

La gravure en tête de l’article figure dans un ouvrage publié en 1888,  L'Armée d'Afrique depuis la conquête d'Alger, du docteur Le Quesnoy, qui fut médecin chef de l'armée française.


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