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L'engagement initial des Centres sociaux dans l'action sociale et l'éducation populaire


L'ancienneté de l'existence des Centres sociaux en France peut conduire facilement un observateur d'aujourd'hui à se méprendre sur leurs caractéristiques premières. Joue en particulier l'effet contexte : les regards contemporains dépendent beaucoup des conditions institutionnelles actuelles qui se sont constituées depuis la Deuxième Guerre mondiale. L'ampleur prise par l'appareil d'État et par les politiques publiques, en raison même de la reconnaissance de nombreux nouveaux droits civils, civiques et sociaux, contribue à structurer différemment les représentations. Il semble bien que le regard porté sur l'histoire des Centres sociaux en soit ainsi affecté. Nous proposons ici de nous en aviser concernant le développement de l'éducation populaire en France et de la place, reconnue ou déniée, des Centres sociaux dans ce domaine.

Les Centres sociaux français d'aujourd'hui font remonter leur propre histoire à la fin du XIXe siècle et considèrent comme leur ancêtre premier l' « Œuvre sociale de Popincourt », implantée en 1896 dans le XIe arrondissement de Paris, œuvre qui se prolongera ensuite sous forme de « Maisons sociales », de « Résidences sociales » et enfin de « Centres sociaux ». Cette création a donc lieu dans la décennie 1890 au cours de laquelle se conceptualise la nécessité d'une éducation populaire élargie et où se diversifient les formes de sa mise en œuvre. Il importe donc que l'on tente de présenter ces émergences dans leur contexte et d'identifier de quelle manière le Centre social s'y inscrit.

Des lectures sociales de la question ouvrière

En cette fin du XIXe siècle, il n'est plus besoin d'enquêter : la précarité et la misère ouvrière sont patentes et elles apparaissent bien comme étant liées à la libéralisation du travail et à l'industrialisation de la production. Les salaires sont insuffisants et instables ; les grèves se multiplient et se radicalisent ; les ouvriers s'organisent entre eux, se politisent, se syndicalisent, et plus nombreux sont ceux qui en appellent à une lutte de classe visant à révolutionner la société. La question ouvrière devient alors aussi une question sociétale et politique : la reconnaissance républicaine des libertés individuelles suffit-elle à assurer la cohésion sociale ?

Au regard de ces injustices et de ces dissociations, deux corps doctrinaux politico-sociaux fondateurs, divergents dans leurs fondements théoriques et spirituels, vont renouveler, au cours de la décennie 1890, les références idéologiques et pratiques : d'une part, la doctrine sociale catholique, reformulée par le pape Léon XIII (1810-1903) en 1891 dans son encyclique Rerum novarum et, d'autre part, le « solidarisme », théorisé par le républicain Léon Bourgeois (1851-1925) en 1896. L'un et l'autre texte mettent en cause le libéralisme économique intégral et le socialisme étatique ; l'un et l'autre initient une troisième voie qui en appelle à une coopération des classes sociales entre elles susceptible de rétablir l'unité de la société et d'y intégrer les ouvriers ; l'un et l'autre offrent un idéal social que de nouvelles générations d'acteurs tenteront de traduire concrètement en réformes législatives et en de multiples dispositifs d'action privée.

En publiant Solidarité, en 1896, Léon Bourgeois devient le penseur qui permet à la Troisième République de se doter d'une philosophie et surtout de valider une voie de « progrès social » soutenu par l'État, à l'encontre des thèses, contradictoires, libérales et socialistes. Sa stature publique et privée crédibilise le « solidarisme » qu'il préconise, à un moment décisif pour la consolidation du régime républicain. La question que cherche à résoudre Léon Bourgeois n'est pas nouvelle, mais elle est essentielle dans la conjoncture de son époque : qu'est-ce qui peut conduire des hommes devenus libres politiquement mais, pour un grand nombre d'entre eux, en quasi-assujettissement économique, à vivre en société et à se conformer à des règles communes ? Léon Bourgeois entend apporter une réponse théorique, mais aussi pratique, qui échappe aux illusions idéalistes et « aux combinaisons mentales imposées par la tradition et l'autorité ». Pour ce faire, il recourt, tout à la fois, à la science et à la morale : « L'homme n'est pas seulement une intelligence, qui par la science s'explique la nature ; il est en même temps une conscience. » Ce n'est que par la connaissance du vrai que l'homme peut aboutir au bien qu'il désire. Or la science a maintenant établi, de manière incontestable, nous dit Léon Bourgeois, l'existence d'une loi de solidarité universelle, y compris pour les humains. Tous les êtres vivants, dans leur réalité individuelle et dans leurs rapports avec les autres, participent d'une loi de solidarité naturelle :

[La science] ne connaît plus l'homme abstrait, apparu tout à coup sur la terre dans le plein développement de son intelligence et de sa volonté. Il n'est plus le but et la fin du système du monde. Il est, lui aussi soumis à des rapports de dépendance réciproque, qui le lient à ses semblables, à la race dont il sort, aux autres êtres vivants, au milieu terrestre et cosmique.

Cette loi de solidarité n'est pas contradictoire avec cette autre loi du libre développement de l'individu que la biologie a aussi établie, car ces deux lois se coordonnent : le développement des individus contribue au développement du tout qu'ils forment, car ils sont « associés », solidaires.

Dans l'encyclique Rerum Novarum en 1891, le pape Léon XIII, de son côté, dénonce les dérives de l'économie libérale intégrale qui fait qu'un petit nombre « de riches et d'opulents » impose « un joug presque servile à l'infinie multitude des prolétaires » et place les « hommes des classes inférieures » « dans une situation d'infortune et de misère imméritée ». Ces situations indignes sont, dit-il, le produit d'injustices sociales. Il est urgent d'y remédier. Les solutions socialistes sont trompeuses, elles suppriment la propriété privée, déresponsabilisent les familles et opposent les classes sociales entre elles. Au contraire, inspirées des principes chrétiens, il revient aux classes sociales de « mettre en commun leurs lumières et leurs forces pour donner à la question ouvrière la meilleure solution possible ». Il y a un droit naturel pour l'homme de pouvoir s'associer à d'autres pour construire des solutions justes. Par défaut, l'intervention de l'État peut être légitime pour garantir la justice sociale et donc l'ordre social.

Naissance d'une action sociale et éducative

Ces deux contributions théoriques majeures ont eu des retentissements considérables, tant dans les débats d'idées que par le bouillonnement d'initiatives qu'elles ont générées. Elles étaient porteuses d'idéaux capables de donner sens à des engagements individuels et d'« associés » visant des transformations sociales. Adossées pourtant à des fondements distincts, voire contradictoires (le scientisme et le catholicisme), elles n'en appellent pas moins toutes deux à la responsabilité sociale de chacun, à la prise de conscience de son devoir social[1].

C'est dans ce contexte que, durant la décennie 1890, « l'éducation sociale », dite aussi « éducation populaire », et « l'action sociale », associées désormais à l'enjeu de la « justice sociale », non seulement prennent une place centrale dans les discours réformistes, mais surtout justifient de nouvelles formes d'action qui se consolideront au fil de la décennie suivante. À défaut de pouvoir présenter ici l'ampleur prise par ces thématiques, citons quelques déclarations significatives :

Avec le régime actuel et le suffrage universel, l'instruction est devenue un droit pour le peuple, et, par suite, un devoir pour la classe dirigeante[2].

L'éducation populaire préoccupe aujourd'hui plus que jamais les esprits… Ne sommes-nous pas merveilleusement aptes à travailler à cette éducation non seulement intellectuelle, mais encore morale et sociale du peuple ? N'est-ce donc pas là notre tâche propre et comme l'œuvre à laquelle nous sommes prédestinés ? Où trouvera-t-on donc, en dehors de l'action bienfaisante du christianisme, la possibilité d'allier la liberté à l'ordre, l'initiative à la cohésion, l'indépendance à l'autorité[3] ?

L'égalité civile conquise en 1789 n'était que la préface de l'égalité politique et du suffrage universel ; le suffrage universel exigeait l'instruction universelle ; celle-ci n'est rien si l'éducation morale et civique ne la vient pas compléter et rendre féconde. Et l'État républicain est en péril si sa souveraineté, qui est à tous, n'est pas aux mains d'hommes dignes et capables d'en porter le noble fardeau[4].

Nous ne croyons pas, Messieurs, qu'il y ait actuellement dans l'ordre économique égale liberté pour tous. Il y a liberté jusqu'au privilège pour quelques-uns. Il y a absence de liberté jusqu'à l'oppression pour un trop grand nombre. Et c'est précisément à cet état de choses que l'éducation sociale doit, et suivant nous, peut apporter le remède nécessaire[5].

Émergence et diffusion des « settlements »

Parmi les innombrables « œuvres sociales » émergentes visant à restaurer des rapports sociaux plus justes et pacifiés, il y a lieu de s'intéresser particulièrement à celles qui se sont inspirées de réalisations anglaises répondant à des enjeux sociétaux homologues à ceux posés en France. Elles sont dénommées « College settlements » ou « Social settlements » et dont la première concrétisation a pris forme en 1884 dans l'East London avec la création de Toynbee Hall. Initié par le vicaire anglican Samuel Barnett (1844-1913), Toynbee Hall entend être un lieu de fraternité sociale et d’éducation populaire. Sa particularité est d'être un « settlement », c’est-à-dire un lieu où des personnes, extérieures au quartier et d’un autre milieu social, viennent résider durablement pour établir des liens de coopération et non de « patronage » avec les habitants du voisinage et ainsi redonner aux classes populaires une place plus juste dans la société. En l’occurrence, les « résidents » de Toynbee Hall sont principalement des étudiants des universités londoniennes qui, avec leurs voisins ouvriers, entreprennent de s’éduquer mutuellement. L'intérêt porté en France à cette forme d'action « neuve et hardie[6] » développée par nos voisins, a été le fait de milieux réformistes aussi divers que ceux des leplaysiens, des solidaristes et des catholiques sociaux.

Les premiers à s'y intéresser sont les leplaysiens qui écoutent, en séance du 17 mai 1885 de la Société d'Économie sociale, un court exposé sur Toynbee Hall présenté par un universitaire anglais, Sedley Taylor (1834-1920), connu pour ses enquêtes en France sur le partage des bénéfices entre capital et travail[7]. Cet intérêt est entretenu par un bon connaisseur des pédagogies anglaises, Pierre de Coubertin (1863-1937), qui présente plus en détail Toynbee Hall, après l'avoir visité, dans un article publié le 1er septembre 1887 dans La Réforme sociale. Pour sa part, le « Musée social » missionnera en 1896 Marcel Guérin à Londres pour effectuer une enquête sur Toynbee Hall. Son journal de séjour, publié dans le bulletin mensuel du Musée social en 1897, présente avec précision l'activité, au jour le jour, du « settlement »[8].

Jacques Bardoux (1874-1959), juriste, futur historien, journaliste et homme public, proche des leplaysiens, encore jeune homme, de retour d'Angleterre après des études à Oxford durant lesquelles il fréquente Toynbee Hall, ouvre à Paris fin 1899, avec quelques camarades, la « Fondation universitaire de Belleville » qui se veut être un « settlement ». Il en décrit lui-même les buts :

En créant le Cercle universitaire de Belleville, ses premiers adhérents se proposaient un double but : ils voulaient fonder à la fois un centre d'enseignement mutuel et de paix sociale. Ils désiraient bâtir une maison commune où des ouvriers, qu'ils appartiennent aux syndicats professionnels ou aux carrières libérales, se réuniraient avec leurs femmes et leurs enfants pour former une association d'égaux volontaires. L'œuvre entreprise ne serait pas complète si les intelligences étaient seules à s'ouvrir et à se perfectionner dans un contact quotidien : nous étions sûrs que les âmes, elles aussi, s'élargiraient et s'affineraient au souffle des amitiés sincèrement nouées. Une éducation qui forme autant les cœurs que l'intelligence est seule digne de son nom. Cette ambition, singulièrement plus haute et plus idéale que celle que la Fondation poursuivait en organisant son enseignement, ne pouvait être atteinte que si elle attirait à la fois des ouvriers et des étudiants, et les conservait quelque temps sous le même toit[9].

Cette tentative d’éducation populaire sous forme de « settlement » ne dure que quelques années. Affectée par l'extinction du mouvement des Universités populaires, elle s’arrête en 1906, faute d'avoir pu bénéficier d'un engagement durable d'étudiants :

Les étudiants français, en effet, rechignent à résider avec les ouvriers. La collaboration active et progressive des membres ouvriers à l’administration interne de la Fondation, prévue par les statuts, restera lettre morte[10].

Des leaders et pédagogues de l'école publique vont aussi chercher enseignement de l'autre côté de la Manche : le « Movement University Extension » les intéresse en ce qu'il a initié des dispositifs originaux d'éducation des adultes en créant des « Working-men Colleges » dans les quartiers ouvriers à partir du milieu des années 1860 et dont une des réalisations prendra la forme d'une « University settlement », celle de Toynbee Hall. La Ligue de l'enseignement va ainsi jusqu'à faire venir des responsables de ces institutions pour exposer leurs réalisations lors de son Congrès de Nantes en 1894, au lendemain de son Appel pour une éducation « après la sortie de l'école ». Ces témoignages seront rassemblés, sous la houlette de Ferdinand Buisson, dans un ouvrage publié en 1896[11]. Sur dix-sept notices présentées, quatre concernent des « settlements », dont deux consacrées à Toynbee Hall.

Dans ses discours d'ouverture et de clôture du Congrès 1896 de la Ligue, dont il est maintenant le président, Léon Bourgeois fait référence avec insistance à ces dispositifs britanniques. Déjà, dans son discours au Congrès de 1895, il avait promu la nécessité de créer des « patronages démocratiques de la jeunesse » pour assurer « un entrainement moral et social » à l'adolescent. Pour cela, il estime nécessaire :

une action continuelle, un groupement permanent, tout un réseau d'aides, d'appuis, de concours, d'échanges de sympathies et de services, [...] une atmosphère saine et fortifiante, un foyer et, pour dire plus encore, un milieu, milieu moral, civique et social.

Il s'agit, dit-il encore quelques phrases plus loin, de constituer : « diverses œuvres de secours matériel et d'appui moral qui y attireront, y retiendront les enfants, en feront pour eux et pour leurs parents même, un centre habituel et préféré, une petite maison commune. » Et pour faire tout cela, il en appelle à :

l'action initiale de l'instituteur ou de l'institutrice, à celle des auxiliaires légaux de l'enseignement, à l'action volontaire des pères et des mères de famille, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, de tous ceux qui pourront donner quelque chose d'eux-mêmes, de l'argent, un local, des objets en nature, des livres, fut-ce seulement une heure de leur temps[12].

Cela ressemble, en bien des points, au mode d'action des « settlements ». Il reste bien sûr à examiner ce que sont devenues ces intentions et, en particulier, celle de la constitution d'un « milieu moral, civique et social » comme celle de créer des « maisons communes ».

De leur côté, les catholiques sociaux vont aussi se saisir de l'exemple des « settlements » anglais, et singulièrement de celui de Toynbee Hall. Au-delà de la curiosité, ils auront la capacité de le transposer en France, modestement au début, mais avec plus de succès à partir des années 1900. Le marquis Albert Costa de Beauregard (1835-1909), ancien député monarchiste légitimiste, devenu historien et tout récemment élu à l'Académie française, publie en septembre 1896, dans Le Correspondant, une étude sur les « college settlements » anglais dans laquelle il apporte son soutien à « l'œuvre des settlements français » ouverte par Marie Gahéry (1855-1932) dans le quartier populeux de Popincourt (XIe arrondissement de Paris), œuvre qui se trouve être menacée de fermeture. Quelques mois plus tard, en 1897, ce sera au tour d'Étienne Lamy (1845-1919), leader des catholiques républicains, d'expliquer, avec conviction et talent, devant un parterre de dames de la bonne société, pourquoi et comment il faut aider ce « settlement » français, désormais appelé Œuvre sociale de Popincourt :

Pour établir, malgré l'inégalité des conditions, la paix entre les classes, il faut employer, dit-il, le même moyen qui avait maintenu cette paix durant des siècles, il faut justifier cette inégalité par des services, il faut rétablir entre les classes une communauté de vie[13].

En effet, Marie Gahéry, faisant suite à une première expérience débutée en 1894, avait créé, avec le soutien du marquis Costa de Beauregard, l’Œuvre de Popincourt, dont les principes et les manières de faire s'inspiraient de l'action des « settlements » britanniques et américains qu'elle avait fréquentés antérieurement. Elle l'explique elle-même :

L’ouvrier supporte difficilement d’être observé ; assez familier avec ses pairs, il évite, d’instinct, le contact de quiconque n’est pas, suivant l’expression consacrée, de son bord. Et pourtant, ceux et celles qui ont à cœur le mieux-être social savent bien que les travailleurs ont un droit tout spécial à ce mieux-être qui, d’ailleurs, ne saurait être réalisé sans leur collaboration. Comment donc communiquer avec eux ? Comment rompre la glace ? Comment établir des relations qui rendent possible un travail social dont eux-mêmes devraient être les principaux artisans ? […] Au lieu de dire : faisons des libéralités pour attirer à nous ceux sur qui nous voulons agir, nous disions : ne pas faire d’aumône, n’aller chercher personne, ainsi nous ne froisserons pas ; puis laisser voir comment nous vivons et à quoi nous pouvons être utiles, alors on viendra à nous comme à des amis. Il n’y aura pas d’arrière-pensée. Et voilà très simplement comment l’idée de la résidence dans les quartiers ouvriers nous est venue, comment elle s’est imposée à notre esprit et à notre cœur avec tous les caractères d’une inéluctable nécessité[14].

Plusieurs fois compromise pour des raisons matérielles (locaux inadaptés, financements, etc.), l'Œuvre sociale de Popincourt a bien failli fermer, elle aussi, et ce principalement pour des divergences sur les modes d'action entre les acteurs impliqués, membres du Comité, « travailleuses » intermittentes issues des beaux quartiers et Marie Gahéry, secrétaire générale. L'Œuvre doit sa survie au relais pris par Mercédès Le Fer de la Motte (1862-1933). Cette dernière est alors encore Supérieure d'une petite communauté oratorienne qu'elle venait d'établir à Paris à la fin de l'année 1896 et qu'elle implique dans l'Œuvre sociale. Rendue à l'état laïc en 1903, suite aux lois anticongrégationnistes, elle entreprend la création d'autres « maisons sociales » dans les faubourgs parisiens dans lesquelles ses « sœurs » se mobilisent. En quelques années, elle coordonne six maisons sociales à Paris et dans sa banlieue. Toutes sont animées par des « résidentes » à demeure, ouvrant leur « foyer » aux familles ouvrières voisines. Après bien des vicissitudes, ces maisons sociales se prolongent en « Résidences sociales » et en « Centres sociaux ».

Au total, il est à remarquer que l'action sociale résidentielle en France ne s'est pas développée en lien avec les universités, comme cela a été le cas en Grande-Bretagne, et guère davantage avec l'École publique. Elle a, par contre, trouvé ses points d'appuis initiaux dans l'engagement organisé de chrétiens qu'il convient d'appeler doublement « sociaux » : parce qu'ils engagent, dans leur voisinage, des relations directes avec autrui, en même temps qu'ils se soucient d'enjeux sociétaux, en escomptant ainsi produire une société plus intégrée parce que plus juste.

Il y avait lieu de présenter cet historique de l'engagement initial des Centres sociaux dans une action « sociale » et éducative de proximité, en lien avec une communauté locale, pour mieux s'aviser de la convergence, en terme de finalité et de modes d'action, entre les Centres sociaux établis en Algérie et ceux de la métropole[15]. Confrontés tous deux à d'extrêmes divisions dans leur société, ils ont fait le pari d'une action éducative respectueuse d'autrui et porteuse d'espérances sociétales.

Jacques Eloy
maître de conférence retraité de sociologie à l’université Lille 3
président de l’association Mémoires vives Centres sociaux
Communication lors du colloque «Les Centres sociaux dans l'histoire des mouvements d'éducation »
15 mars 2019
publié dans Le Lien numéro 70


  1. Il serait bon de faire référence aussi au développement du « Christianisme social » chez les protestants, notamment à l'origine de « fraternités » dans les quartiers populaires.
  2. Le Sillon, le 10 mai 1894.
  3. Marc Sangnier, L'Éducation sociale du peuple, 1899, p. 114-115.
  4. Léon Bourgeois, discours d'ouverture du XIVe congrès de la Ligue de l'enseignement, le 2 août 1894, édité dans Léon Bourgeois, L'Éducation de la démocratie française, (1897), 2e éd. 1904, p. 143.
  5. Léon Bourgeois, Discours d'ouverture du 2e Congrès de l'éducation sociale, le 24 octobre 1908, édité dans Léon Bourgeois, La Politique de la prévoyance sociale, 1913, p. 21.
  6. Selon les qualificatifs employés par Pierre de Coubertin dans son article mentionné plus bas.
  7. Une tentative sociale universitaire dans l’Est de Londres, La Réforme sociale, t. X, 1885, p. 220-225.
  8. Un settlement anglais. Notes sur Toynbee Hall, Musée Social, août 1897.
  9. Jacques Bardoux, La Fondation universitaire de Belleville, Le Musée social, Mémoires et Documents, 1902, p. 494.
  10. Geneviève Poujol, L’Éducation populaire : histoires et pouvoirs, Les Éditions ouvrières, 1981, p. 101.
  11. F. Buisson (dir.), L'Éducation populaire des adultes en Angleterre, Notices sur les principales institutions par des membres de leurs comités, Paris, Hachette, 1896.
  12. Léon Bourgeois, L'Éducation de la démocratie française, Discours prononcés de 1890 à 1896, Paris, Édouard Cornély (1897), 2e éd. 1904, p. 176-178.
  13. Étienne Lamy, L’œuvre sociale. Les settlements anglais et américains, Paris, Plon, 1897, p. 24.
  14. Extraits d’une contribution de Mlle Gahéry intitulée « L’Union familiale », publiée par l’Action populaire dans un ouvrage collectif paru en 1906 sous le titre Françaises.
  15. Trouver une étude plus détaillée de cette convergence dans la communication faite par Jacques Eloy lors de l'assemblée générale de l'AMMMF à Troyes, le 12 mars 2011, intitulée « Centres sociaux en métropole et Centres sociaux en Algérie : deux histoires distinctes ou croisées ? », reproduite dans Le Lien, n° 60, avril 2012, p. 12-18.

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