MAX MARCHAND, DE MOULOUD FERAOUN
ET DE LEURS COMPAGNONS
CSE Bulletin de liaison N°15
Bulletin de liaison, d'information et de documentation N°15
diffusé par le Service des Centres Sociaux Éducatifs
Château Royal, El-Biar, Alger
3e Trimestre 1960 (imprimé en décembre 1960)
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Sommaire
- Éditorial (par Marcel LESNE)
Pédagogie : - Journées pédagogiques 1959-1960
— 1er trimestre - Rôle des Ateliers des CSE
- Education familiale et ménagère
— 2me trimestre - Action des CSE en faveur de de l'élévation du niveau de vie
- La formation des Chefs de Centre
Vie des Centres : - Au CSE de La Redoute :
- Cours de formation de vendeuses (par M. OULD AOUDIA, Inspecteur des CSE Circonscription d’Alger-Est)
- Stages d'étudiantes métropolitaines
Informations : - Contribution des CSE à la lutte contre le trachome
- Nominations
EDITORIAL
La formation préalable des maîtres est absolument indispensable dans toute entreprise éducative. Il existe, pour chaque métier, des techniques spéciales ; elles peuvent être apprises « sur le tas » ; mais il est infiniment regrettable que cet apprentissage empirique du métier s’opère, quand il s’agit d’éducation, non sur une matière inerte mais sur les éduqués eux-mêmes. Aussi, le Service des Centres Sociaux Educatifs s’est-il efforcé, depuis sa création, d’assurer la formation ou le perfectionnement de ses cadres. Le présent numéro de sa revue trimestrielle donne un aperçu de ses activités en ce domaine. Malgré des difficultés matérielles qui ne sont pas encore toutes résolues, le Service des Centres Sociaux Educatifs assure dès à présent, au cours de stages d’une durée de trois mois et groupant une trentaine de candidats, une formation pédagogique et administrative des futurs chefs de centre. D’autres stages sont organisés, lorsque les possibilités matérielles le permettent : stages de polyvalence pour les moniteurs d’ateliers ruraux, destinés à les préparer aux multiples aspects de leur fonction — stages de formation ou de perfectionnement des monitrices en vue de leur initiation à une action éducative globale — stages pour les moniteurs d’enseignement général... L’ouverture échelonnée des nou- veaux centres permet heureusement l’organisation de stages aux effectifs encore peu nombreux, dont les enseignements seront mis à profit par les instructeurs lorsque, les bâtiments de restauration du Centre de Formation pour l’Education de Base à Fixeraine étant achevés, il s’agira de fournir du personnel qualifié aux 60, puis aux 120 Centres Sociaux Educatifs qui seront ouverts chaque année.
Cependant, quelles que soient les vertus d’une formation préalable, aussi bien comprise soit-elle, la valeur individuelle de Véducateur demeure primordiale. Les vertus que l’on se plaît à reconnaître comme indispensables aux enseignants sont d’ailleurs nombreuses, car ils doivent agir à la fois sur les esprits et sur les cœurs, ce qui suppose beaucoup de qualités et une intervention de la personnalité toute entière. Mais une solide vocation, innée ou acquise par l’exercice du métier, s'avère particulièrement indispensable pour le personnel des Centres Sociaux Educatifs. Cette vocation, faite d’intérêt pour la tâche d’éducateur, d’amour de l’enfance et de l’adolescence, de besoin d’agir sur l’intelligence et les sentiments d’autrui, incite tout naturellement l’éducateur à exercer son influence bienfaitrice sur autrui par les voies de l’instruction, de la réflexion et de l’exemple, dans le sens d’un développement harmonieux des êtres. Le public des Centres Sociaux Educatifs est par définition, le plus malheureux, le plus ignorant et le plus difficile à convaincre de tous les publics ; la misère et l’ignorance l’ont rendu résigné ou révolté. C’est pourquoi cette vocation doit être une vocation active, qui cherche moins à se définir qu’à se réaliser et à se fortifier par l’exercice ; elle se mesure non aux résolutions verbales, ni à l’exposé de bons sentiments, mais à l’importance du temps consacré à la tâche, aux résultats obtenus, à la priorité accordée aux considérations du métier sur celles des convenances personnelles. Se sentir responsable de l’avenir et conscient d’œuvrer pour la justice et le progrès social, s’efforcer de réaliser son idéal, se sentir chargé d’uni mission, sont autant de facteurs qui confèrent à l'éducateur, prestige, autorité et réussite dans son œuvre.
Cependant, dans nos Centres Sociaux Educatifs, valeur personnelle et vocation affirmée ne suffisent pas toujours pour obtenir des résultats concrets. Les plus hautes qualités personnelles et la connaissance des techniques éducatives risquent d’échouer si des précautions préalables d’abord, un certain état d’esprit ensuite, ne viennent tracer un cadre à notre action.
En premier lieu, la connaissance parfaite du milieu, dans lequel le Centre Social Educatif se trouve inséré est absolument indispensable. On ne peut agir de façon valable sur une communauté si on ne la connaît pas ou si on ne comprend pas le sens de son évolution, Non seulement il faut connaître et comprendre cette collectivité, mais il faut aussi arriver à sentir avec elle ses besoins et ses aspirations. Les études livresques générales on particulières, l'enquête sociologique, l’observation quotidienne permettent de connaître le millieu environnant ; les contacts avec les familles, les visites à domicile, la permanence de l’accueil doivent amener les usagers du centre à se confier et à s’ouvrir. L’esprit et le cœur conjuguent ainsi leur action en vue d’une meilleure compréhension des problèmes et d’une mise en œuvre de solutions particulièrement adaptées.
En second lieu, pour que l’œuvre du Centre Social Educatif soit profonde et durable, il faut qu’éducateurs et éduqués se sentent sur un même pied d’égalité et de confiance ; pour cela il convient, résolument, de « substituer la notion d’échange à celle du don », Il est pénible, pour des adolescents n’ayant pas connu l’école mais les dures réalités de l’existence, dé venir sur les bancs de l’écote ou à l’établi de l’apprenti ; il peut être humiliant pour des adultes de fréquenter ce qui petit ressembler à l’école où vont leurs enfants. C’est pourquoi il convient de baser les rapports entre l'enseignant et l’enseigné sur l’égalité, l’adhésion et la confiance, Pour notre public d’adultes il faut constamment, non pas imposer et décider, mais comprendre et comparer des manières de faire, montrer les avantages de celles que l’on propose, susciter une volonté d’amélioration et un désir d’apprendre. C’est en leur demandant quelque chose, en leur parlant d’eux, en allant vers eux que nous donnerons à nos interlocuteurs conscience de leur dignité. Cette conscience de la dignité personnelle s’affirmera plus facilement lorsque l’éducateur saura recevoir et écouter aussi bien que donner et exposer.
En définitive, savoir se mettre à l’écoute et à l’école des populations qu’il est chargé de faire évoluer constitue la démarche spirituelle initiale de l’éducateur de base lorsqu’il prétend se mettre à leur service. Non seulement son action éducative sera facilitée, mais il en tirera certainement un très grand profit personnel.
Marcel LESNE
Inspecteur d’Académie, chargé du Service des Centres Sociaux Educatifs