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Armand Gatti et l’Algérie


Dante, Sauveur Gatti est né en 1924 à Monaco, dans le bidonville du « Tonkin », à Beausoleil, d’une famille pour laquelle l’émigration est quasiment le lot commun. Le père, Augusto, survivant de la première guerre mondiale, émigra du Piémont en Amérique. Il connut à Chicago le travail moderne et fut victime de la répression patronale des luttes ouvrières. Sa fuite en Europe fut suivie d’un nouvel exil pour échapper cette fois non seulement à la misère, mais encore au fascisme italien. Gatti n’est qu’un enfant quand son père meurt à Monaco des suites de sévices policiers.

En 1945, après avoir pour sa part connu la résistance et l’engagement militaire auprès des Anglais dans le SAS (Special Air Service), le tout jeune homme obtient un emploi de journaliste au Parisien libéré sous le nom d’Armand Gatti. C’est le début d’une activité foisonnante, inventive et même audacieuse que récompensera en 1954 le prix Albert Londres. C’est l’expérience et l’apprentissage des pouvoirs du langage. Mais c’est encore en toute occasion un engagement. Parfois au-delà de ce que la censure interne du journal peut tolérer.
Le reportage qu’il accomplit en 1951-1952 quatre mois durant en collaboration avec Pierre Joffroy, son partenaire pour de grandes enquêtes depuis juillet 1949, relève de ce passage à la limite :

dix articles jamais édités, avec une lettre adressée au rédacteur en chef pour proposer cette nouvelle enquête menée en France et en Algérie : la venue en France de milliers de Nord-Africains qui s’y installent, puis vivent dans la misère. Un « malaise national » dont la France doit rendre compte [1].

Le tout se trouve dans le numéro 4 des Cahiers Armand Gatti, revue annuelle sous-titrée Du Journalisme en 2013. Cette fois-là, doutant de l’efficacité de la parole journalistique, même dans le cas où les articles seraient publiés, les enquêteurs dépassèrent l’intérêt professionnel. Le « souci d’agir directement auprès… » les animait, en l’occurrence auprès du président Vincent Auriol, en toute clarté de dessein mais non sans illusion : « si nous pouvons douter de l’influence d’un article de journal, nous ne saurions croire en revanche que l’intervention personnelle du président de la République et de l’Union française puisse demeurer sans effets »…

C’est dans le temps de leur enquête en Algérie, « d’Alger aux communes mixtes du Sud, de Constantine à Paris », qu’aura lieu la rencontre avec le poète Kateb Yacine, un frère, une sorte d’alter ego, le grand ami au destin moins heureux malgré l’aura qui s’attache à lui dans un pays où il vécut de grandes difficultés. Cette amitié s’est transmise au fils, Stéphane Gatti, preneur d’image et monteur avec Hélène Chatelain du Lion, sa cage et ses ailes. Dans le long entretien réalisé par celui-ci avec le poète et dramaturge algérien deux ou trois ans avant sa mort, Kateb Yacine y raconte ses trois langues, le français, l’arabe et le tamazigh, et dit sa certitude que son pays trouvera un jour dans la paix si chèrement conquise son identité multiple.

On ferait utilement une étude comparée de la figure de l’immigré dans les œuvres de ces deux poètes internationalistes ainsi que de l’engagement concret dans leur société respective auprès d’autres acteurs sociaux dont ils se seront sentis tout simplement les frères mieux armés. Poètes, mais aussi « écrivains publics ».

Françoise Savarin Nordmann
publié dans Le Lien numéro 64


Notes :

  1. Tapuscrit corrigé par Pierre Joffroy

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