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Coopération en Algérie, l’édition pédagogique


Il m’a été impossible de préparer cette communication ainsi que je le souhaitais en étudiant l’action des différents éditeurs pédagogiques mais il faut reconnaître qu’à l’exception d’Hatier, les autres entrèrent très prudemment dans la coopération en Algérie. Je me limiterai donc à mon expérience et comme il serait temps que je songe à écrire mes mémoires, je vais, en avant-première, me livrer à quelques confidences. La continuité, c’est ce qui se prolonge dans le temps et dans l’espace, je me trouverai donc obligé de vous entretenir de la situation pédagogique avant l’indépendance.

Quand les classiques Hachette me proposèrent la fonction de chargé de mission pédagogique pour le Maghreb et dans quelques pays proches avec une action principale en Algérie et plus ponctuelle au Maroc, indépendant depuis le 3 mars 1956, et en Tunisie, indépendante depuis le 20 mars 1956, l’Algérie se trouvait en guerre depuis le 1er novembre 1954. Et je dis bien proposer et non nommer, la direction n’ayant pas trouvé de volontaires mesurait les risques d’y envoyer un collaborateur. J’acceptai car je me sentais attiré par ce pays et curieux de voir ce qui s’y passait autrement qu’à travers la presse ; je pensais à la réflexion de Guy de Maupassant, envoyé spécial du journal Le Gaulois en Oranie en juillet 1881 pour couvrir la révolte des tribus de Bou-Amama : « Il est bien difficile, vraiment, de se fier aux renseignements que nous fournit la presse française. »

Pour Hachette, l’Algérie représentait un marché très important. L’agence d’Alger où je m’établis, 49 bis rue d’Isly, devenue rue Larbi Ben M’Hidi après l’indépendance, était la plus grande de France avec les livres, la presse, la papeterie, les tabacs dont elle détenait le monopole, une différence de plus à ajouter à celle que je connaissais entre la métropole et l’Algérie. Cette situation me causa d’ailleurs quelques déconvenues dans l’exercice de mon métier.

Le directeur des classiques Hachette, René Vaubourdolle, dès ma première approche des problèmes éducatifs spécifiques à l’Algérie, me fit confiance pour mener à bien la politique éditoriale que j’estimais nécessaire afin de fournir aux maîtres des outils de travail adaptés et je savais que je pouvais compter à Oran sur l’expérience de l’inspecteur Max Marchand que je connaissais déjà.

Nous nous trouvions administrativement dans des départements français et des programmes uniques, mais il fallait respecter les origines des élèves, en particulier dans le bled. Les deux volumes Histoire de France et d’Algérie, cours élémentaire et moyen, et cours moyen et supérieur, intégralement reproduits dans nos bulletins Le Lien numéro 48, novembre 2003, et numéro 49, octobre 2004, connurent un succès immédiat, malgré quelques réticences et réflexions de directeurs dans des écoles urbaines à 98 % d’élèves européens : « Nous sommes en France et nous ne voulons pas de livre d’histoire qui ne soit pas une Histoire de France. »

Je pensais à une adaptation pour l’Afrique du Nord de nos publications pédagogiques et Max Marchand, malgré une charge de travail considérable, accepta que nous constituions un groupe de recherche et d’étude pour réaliser une parution mensuelle du Manuel général destiné aux instituteurs et du Journal des professeurs pour la premier cycle de l’enseignement secondaire.

Dès la mise en place du plan de Constantine en 1958, entraînant une accélération de la construction de bâtiments scolaires, donc de la scolarisation et la création des Centres sociaux éducatifs, je ne pus faire face. Hachette Paris, dont je dépendais, m’accorda un adjoint, Michel Ropion, qui devint un ami, fut membre de notre association et décéda en 2010. Je pris un certain temps à former une équipe pour concevoir une méthode de lecture mettant en scène de petits Algériens et tenant compte de leurs difficultés laryngo-pharyngées par rapport à la langue française, car je tenais à ce que ses membres appartinssent à la célèbre école normale de La Bouzaréah.
Ce furent Henri Dini, directeur, Abderrahmane Rahmani, professeur, frère d’Abdelkader Rahmani dont nous allons parler, et Robert Bousquet, directeur d’application à l’école normale : auteurs de Bonjour l’École, en deux livrets, dans notre collection Khed-ra, édités dans le dernier trimestre 1962, utilisés dès 1963, nous entrons là dans la continuité de l’édition pédagogique. Je conserve un exemplaire dédicacé : « À mon cher Lambart qui a su détecter l’École et un témoignage d’amitié. »

Début 1959, le président Claude Labouret me demanda de venir en urgence à Paris, sans me donner le motif. Sur place, il m’informa d’une rencontre confidentielle avec notre président directeur général, Robert Meunier du Houssoye, qui me fit part de son souhait que je prenne en charge le lieutenant Abdelkader Rahmani dans la perspective d’une nomination à la direction d’Hachette Alger.

Le lieutenant de cavalerie blindée Abdelkader Rahmani, ancien du détachement français des opérations de l’ONU pendant la guerre de Corée, chevalier de la Légion d’honneur, refusait d’aller en Algérie combattre ses frères, et à la suite de quelques années difficiles se décida au nom de cinquante et un autres officiers d’origine algérienne à écrire en décembre 1956 une lettre au chef suprême des armées, le président René Coty, afin d’expliquer leur situation et d’offrir leurs services en tant que médiateurs pour mettre un terme à cette guerre fratricide. Nous avons vu que La Voix des Humbles [1] lutta contre la discrimination envers les militaires algériens. Pour toute réponse, Abdelkader Rahmani fut incarcéré à Fresnes. Le garde des sceaux, ministre de la Justice Edmond Michelet, ami de Robert Meunier du Houssoye, trouvait cette situation inadmissible et, avec l’accord du président de la République Charles de Gaulle, le fit sortir de prison sous condition qu’il ne réside pas sur le territoire français.

C’est ainsi que j’installais Abdelkader Rahmani chez Sochepress-Société Chérifienne de Presse-ex Hachette à Casablanca où le directeur, Monsieur B., lui réserva un accueil mitigé au moment où son livre L’Affaire des officiers algériens paraissait aux éditions du Seuil. Notons que Denis Forestier, secrétaire général du Syndicat national des instituteurs, ami de Max Marchand, alla lui rendre une visite en prison.

De retour à Alger, le directeur, Monsieur C., certainement mis au courant par son collègue de Casablanca, tous les deux, pour le moins très Algérie française, souhaita que je sois armé comme beaucoup de civils et que je change mon immatriculation 75 pour 91, département d’Alger. Arrêté sur la route par une patrouille FLN, ce qui fut le cas, mes documents pédagogiques pouvaient servir de sauf-conduit alors qu’un revolver, c’était l’exécution assurée. Mes relations avec les milieux libéraux, des interviews dans la presse au cours de conférences et d’expositions pédagogiques me furent reprochées. Devant cette situation délicate, Claude Labouret se déplaça à Alger afin d’effectuer une mise au point et de préciser que je dépendais de lui, Hachette Paris et non d’Hachette Alger.

Claude Labouret me faisait confiance pour préparer l’avenir ; son frère Vincent Labouret, haut-fonctionnaire, participa à toutes les négociations franco-algériennes depuis Lugrin, Les Rousses jusqu’à Évian. Après différentes péripéties, de celles dont on se demande comment on se trouve encore en vie, ce fut à Rabat, dans la soirée du 15 mars, la nouvelle de l’assassinat de Château-Royal qui me laissa traumatisé avant de rejoindre l’Algérie. En mai, à la suite d’une tentative de meurtre au sortir du garage de l’hôtel Martinez d’Oran, des amis, sur leurs conseils impératifs, m’aidèrent à rejoindre sur-le-champ la métropole via l’Espagne.

Avec la rentrée scolaire 1962-1963 nous sommes dans la Coopération. Ces huit années de guerre ne nuisirent pas à l’accueil réservé par les Algériens aux Français venus ou revenus travailler en Algérie, dont en particulier des enseignants.

Si les bureaux d’Hachette avaient été quelque peu chamboulés, le personnel algérien manifesta son contentement à mon retour de congé, un retour, qui pourtant, ne ressemblait pas à celui des années précédentes…

Le lieutenant Abdelkader Rahmani, devenu le directeur Abdelkader Rahmani, prit ses fonctions mais demeura peu de temps après la nationalisation d’Hachette changée en Sned – Société nationale d’édition et de diffusion – qui éclatera en quatre branches lors des accords franco-algériens de 1983 sur le livre. Ses collaborateurs libérés des méthodes coloniales ne supportaient pas la férule de cet ancien militaire qui, à la suite d’un procès intenté par l’Union générale des travailleurs algériens, fut contrait de rejoindre immédiatement la France.

Ma présence sur le terrain pendant les années du conflit où j’étais pratiquement le seul éditeur pédagogique, tout au moins dans les trois dernières années et sans interruption, avait renforcé nos positions. Je retrouvais, tant dans les ministères que dans les établissements scolaires algériens, des enseignants que je connaissais, ainsi le ministre des Enseignements Primaire et Secondaire, Abdelkrim Benmahmoud, qui m’aida grandement à établir des relations cordiales et fructueuses avec de nombreux responsables dont le directeur de l’Institut pédagogique national, Abdelkader Ouadahi, qui devint un excellent ami. En compulsant mes documents je me suis aperçu que j’avais conservé la carte de visite du ministre Abdelkrim Benmahmoud dont je garde un très bon souvenir.

Les manuels en usage furent conservés, renouvelés et même réimprimés spécialement quand ils ne correspondaient plus aux programmes français, mais toujours valables en Algérie, comme la célèbre collection Maillard en mathématique pour le secondaire, commandée par le ministère à des milliers d’exemplaires pendant plus d’une décennie. Il en fut de même dans le primaire avec l’Histoire de France et d’Algérie de Max Marchand et Bonjour l’École bénéficiant de l’aura conservée de l’école normale de La Bouzaréah qui avait formé des centaines d’instituteurs algériens.

Notre coopération consistait :

– Sur le plan technique, à la création du complexe d’imprimerie de la Snag, Société nationale des arts graphiques à Reghaïa et à la formation du personnel.

– Sur le plan pédagogique, à la constitution d’équipes franco-algériennes pour réaliser des ouvrages conformes aux programmes nouvellement élaborés avec de nombreux enseignants français, pieds-noirs qui travaillaient en Algérie depuis longtemps et métropolitains récemment arrivés. Certains demeurèrent encore une bonne dizaine d’années. Ainsi nos amis Maurice et Renée Descazeaux qui créèrent une section agricole dans leur collège de Yussuf et reçurent la visite du président Ben Bella venu les féliciter en 1964. Ben Bella qui déclarait que la France aurait mieux fait d’envoyer moins de colons et plus d’instituteurs.

L’ambassade de France déploya des moyens considérables, 43 % du personnel français d’assistance technique présent dans le monde ; notre premier ambassadeur, Jean-Marcel Jeanneney et des conseillers culturels et de coopération remarquables dont certains connaissaient bien l’Algérie. Ainsi le conseiller culturel, inspecteur général de l’Éducation nationale Marcel Girard, à qui je demandais sa collaboration pour l’édition du premier Guide bleu de l’Algérie nouvelle. Il écrivit une longue introduction commençant ainsi :

En 1962, quand l’Algérie devint un État indépendant, bien que des gens s’interrogèrent : « Comment peut-on être Algérien ? » Il n’était pas facile de se faire une idée précise de la personnalité de ce peuple qui pour beaucoup, à l’intérieur de ses frontières actuelles, n’avait jamais eu droit de cité dans l’Histoire.

Furent installés 5 Centres culturels : Alger-Annaba (ex Bône) ; Constantine ; Oran ; Tlemcen. Ainsi que 23 foyers culturels équipés de salles de conférences, bibliothèques, salles de cours de langues par les méthodes audio-visuelles, de discothèques ; un Centre de recherches et d’études en coopération et de formation permanente ; un Centre d’échanges pédagogique accueillant des Algériens dans des stages de formation en France et en relation avec le Centre culturel de l’ambassade d’Algérie à Paris.

Nous conservions un ou deux grands lycées dans les villes importantes, des collèges dans les villes moyennes et des écoles, en changeant les noms : Bugeaud pour Abdelkader et Fromentin pour Descartes à Alger ; Saint-Augustin à Bône pour Pierre-et-Marie-Curie à Annaba ; Lamoricière pour Pasteur à Oran où notre ami Jean-Claude Visdominé demeura documentaliste une vingtaine d’années.

Je ne voudrais pas empiéter sur la communication d’Aïssa Kadri « La coopération entre 1962 et 1982 dans l’enseignement et la recherche » [2], mais je me souviens avoir été submergé par les sollicitations de nombreux organismes de formation principalement dans les enseignements technique et supérieur où nos ouvrages étaient fort appréciés.

Les cessions de droits et l’impression sur place les rendaient moins onéreux qu’à l’importation et plus accessibles aux utilisateurs. Les nouvelles constructions du Gouvernement général à Rocher-Noir, devenu Boumerdes puis Boumerouas, abritèrent quantité de centres de formation : Institut national de la productivité et du développement industriel ; Institut national d’électricité et d’électronique ; Institut national des hydrocarbures et de la chimie. À Annaba : Institut pour les mines et la métallurgie ; Institut pour les matériaux de construction et de constructions mécaniques. À Oran : Institut algérien du pétrole. À Tlemcen : Institut d’électricité et d’électronique. À Ben-Aknoun : Institut des techniques de planification ; Institut de linguistique. Le ministère du Travail et de la Formation professionnelle installa 55 écoles de formation professionnelle.

L’enseignement se dispensait en français avec des professeurs francophones et un encadrement algérien. Hachette a fourni plus d’ouvrages pour l’enseignement technique et supérieur en ces quelques années que pendant toute la période de l’Algérie française où il n’existait pas de facultés en dehors d’Alger et où il ne fallait pas développer l’industrie.

Pour l’enseignement du français, je contribuais à la formation par une connaissance des méthodes du FLE, Français langue étrangère, comme la méthode Mauger de l’Alliance française et les méthodes audio-visuelles comme La France en direct. Également les collections de textes en Français facile ainsi que des ouvrages adaptés : Le Maghreb aujourd’hui ; la collection « Les Français et la Profession » ; la collection « Outils ». La revue mensuelle Le français dans le Monde connut un record d’abonnements. Nous créâmes un Institut pédagogique maghrébin dont le premier titre fut La Mosquée d’Ibn Khaldun.
Dans la collection Images de l’Histoire, une coproduction Pathé-Cinéma Hachette, sous la direction de Marc Ferro, composée d’une vidéocassette en deux parties, Algérie 1954, la révolte d’un colonisé et Tunisie-Maroc, la lutte pour l’indépendance, et d’un livret d’accompagnement, fut acquise par des centaines d’organismes algériens et français.

L’année 1978 était celle pendant laquelle François Hollande effectuait son stage de l’École nationale d’administration, mais aussi celle où cette fructueuse collaboration dans la coopération s’essouffla. Si j’obtenais des résultats qui satisfaisaient pleinement les éditions Hachette, il n’en était pas de même pour les services financiers qui nous prévinrent que le règlement des factures par la Sned s’effectuait de plus en plus difficilement avec des retards considérables et des demandes de paiements différés. Quant au ministère de l’Éducation qui avait succédé au ministère des Enseignements primaire et secondaire… Après le départ de Mostafa Lacheraf, Kharroubi se lança dans une arabisation effrénée et non maîtrisée.

Si j’avais commencé mon aventure pédagogique en Algérie pendant la guerre, j’allais la terminer au moment où les relations franco-algériennes se tendirent quelques mois avant la mort du président Houari Boumediene. En arrivant du Maroc, je me suis trouvé impliqué dans le différent algéro-marocain, l’Algérie soutenant le Front Polisario qui avait créé sur le territoire revendiqué par les Marocains la République arabe sahraouie démocratique le 27 février 1976. Arrêté sur la route peu après Mostaganem et conduit à Mohammedia (ex-Perrégaux) pour être incarcéré dans une prison moderne construite par la France peu avant l’indépendance, et disculpé au bout de trois jours, mes relations professionnelles et mes amis me crurent disparu…

Après ces vingt-deux années d’activités totales ou partielles au Maghreb et dans la région, Hachette rappelait son directeur chargé de mission en Algérie.

Michel Lambart
Communication lors de notre colloque du 7 décembre 2012,
La coopération française en Algérie après 1962


Notes :

  1. Voir La voix des humbles, 1922-1939.
  2. Voir Générations de la coopération en Algérie, 1962-79.

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