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CSE Bulletin de liaison N°6


Attention aux brûlures
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Bulletin de liaison, d'information et de documentation N°6
diffusé par le Service des Centres Sociaux Éducatifs
Château Royal, El-Biar, Alger
Décembre 1956 - Janvier 1957

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Sommaire

  • Le stage d'éducation populaire par CH. FAURE
  • Libres propos sur l'analphabétisme
  • Programme de production de documents audio-visuels axé sur les problèmes éducatifs du recasement
  • LA VIE DES CENTRES : L'expérience pédagogique de Bel-Air
    INFORMATIONS :
    Bibliothèque des Centres sociaux, publications :
  • L'enseignement de la lecture et de l'écriture (W.S.GRAY)
  • Bulletin de liaison du Centre français d'études et d'informations sur l'éducation de base
  • La coopération comme technique éducative (texte en arabe)

LE STAGE D'EDUCATION POPULAIRE

Du 28 Octobre au 7 Novembre, une grande partie du personnel des Centres Sociaux a suivi à El-Riath, un stage d'Education Populaire.

L'Equipe de l'Education Populaire a informé les Centres Sociaux de ses méthodes habituelles et en a dégagé l’esprit. Les responsables des Centres Sociaux sont maintenant en mesure de juger de l'aide que ces méthodes peuvent leur apporter dans leurs tâches essentielles et plus particulièrement d'apprécier l'intérêt d'une collaboration permanente avec l'Education Populaire.

Bien que les informations sur l'Education Populaire aient été aussi complètes que possible, la plus grande partië du stage a été consacrée à l'initiation et l’entraînement aux méthodes qui utilisent les techniques artistiques.

Les stagiaires étaient répartis en six ateliers ; cinéma - photo - montage radiophonique - poterie - affiches - marionnettes expression corporelle.

Leurs efforts s'inscrivaient dans le rythme quotidien suivant :

Le matin : deux heures d'atelier puis exercice physique, détente et dé jeuner.
Après-midi : deux heures d'atelier, détente et goûter, une heure et demi d'information et de débats.
*Soirée** : veillées.

Ce terme "veillée" est ambigu. En fait deux "veillées" seulement : l'une organisée par les instructeurs d'Education Populaire, l'autre par les Stagiaires. Les"soirées" étaient réservées à la présentation d'oeuvres poétiques, musicales, plastiques, cinématographiques, dramatiques. Au cours de la dernière soirée un spectacle qui n'était fait que des divers travaux des stagiaires regroupés et organisés par les instructeurs dans un montage dramatique, synthèse dé tous les moyens d'expression enseignés, a concrétisé les efforts communs.

Ce stage dont nous essaierons de dire tout à l'heure les résultats positifs, a été mené avec coeur par les instructeurs très.satisfaits du sérieux de leurs stagiaires et plus encore peut-être de la richesse et de lu spontanéité dos plus jeunes d'entre eux qui ont travaillé dans une joie visible et avec un intérêt grandissant.

Pourtant il avait préoccupé les organisateurs qui avaient dû répondre à bien des objections ou préoccupations latentes dont 1'analyse n’est peut-être pas inutile, car elles risquent de ressurgir périodiquement comme des ombres à la collaboration de deux Services. Par ailleurs, elles permettent de situer une pédagogie :

1ère préoccupation : l ’opportunité de l ’Education Populaire dans les'Centres Sociaux et pour le personnel des Centres.

Nous allions réunir dans un stage des équipes qui en sptembre n’avaient mentionné que pour mémoire l’Education Populaire dans leur programme d’activités et cela par égard pour la misère matérielle de la population à laquelle elles s’adressent et une équipe dont la tâche habituelle est de répondre à la faim de l’imagination et de l’intelligence, ou de la faire naître quand elle n’existe pas ; des équipes pénétrées du sentiment de l’extrême urgence et gravité de l’oeuvre à accomplir et toutes tendues vers l’action immédiate, une équipe soucieuse aussi d’efficacité, mais d’une efficacité moins palpable, plus secrète et plus lente. Les Centres n’allaient-ils pas déplorer le temps passé à l’acquisition des méthodes dites ”post-scolaires” quand leur tâche s’inscrit avant l’école ; les Instructeurs de l’Educations Populaire n’allaient-ils pas s'attrister de voir, leurs efforts classés dans la catégorie du superflu?

réponse : Les pédagogues de l’Education Populaire savent par une déjà longue et pénible expérience que quel que soit le degré d’évolution d’une communauté, ses responsables considèrent toujours comme superflu le souci culturel ; il reste toujours des tâches plus importantes à accomplir. Beaucoup de mères de familles reprochent le temps perdu à la lecture par leurs filles et s’étonnent plus tard que ces filles, victimes d’oppressions diverses, y succombent ou ne se libèrent que par le scandale. Mais cette objection chronique se présentait cette fois-ci avec une apparence plus solide et rendue plus respectable par le malheur des temps.

La tâche de l'Education Populaire est de former le goût, l’esprit critique, le jugement par des méthodes qui ne posent pas le long savoir comme condition indispensable ; il n ’est pas possible que les éducateurs de base n ’y trouvent pas leur compte.

Le personnel des Centres, de formations diverses, de degré d'instruction divers, est confronté à une tâche très largement humaine. Il a donc le devoir de se soumettre à une discipline-culturelle permanente et 'il est donc, lui, intéressé par l’Education Populaire.

Les Centres ont créé une équipe de recherches pédagogiques et une équipe de laboratoire chargées de trouver les meilleurs moyens de diffuser des connaissances de base. La gamme des moyens d'expression n’est pas telle que ceux enseignés par l’Education Populaire ne puissent au moins en partie convenir. Les chercheurs doivent garder une imagination toujours en éveil ; les moyens de maintenir vivante une imagination font une grande partie de la pédagogie de l ’Education Populaire.

2ème préoccupation : Les travaux du stage seraient-ils dirigés par le souci de réalisations concrètes, expérimentables immédiatement dans les Centres, ou seraient-ils "gratuits" n’ayant d'autre objet que la formation personnelle des stagiaires en même temps que leur information ?

En d'autres termes : ne serait-il pas souhaitable de partir d'une demande des Centres de matériaux pour une, campagne d'éducation sanitaire par exemple - et de charger le stage d'exécuter cette commande ? Les avantages de cette méthode étaient sérieux : non dépaysement des stagiaires - on échappait au divertissement et on évitait le soupçon "d'inutilité" qui naît si aisément chez l'observateur superficiel des recherches de l'Education Populaire.

réponse : Comment s'entraîner à des moyens d'expression, si dès l'abord et avant toute formation, l'imagination est opprimée par des limites trop étroitement définies ? Il a toujours fallu faire des gammes. Le premier temps des méthodes d'éducation artistique comprend l'éveil de la sensibilité, la libération de l'imagination ; de même qu'on évite de donner un modèle à reproduire, il faut éviter, sous peine de fausser la méthode, d'orienter l'imagination au départ.

Néanmoins, pour éviter une trop grande dispersion, un thème commun a été donné aux ateliers, mais large et propre à une poétisation comme a une exploitation plus utilitaire ; le soleil et l'eau. Rien n'empêcherait les stagiaires d'utiliser par la suite ces méthodes a des fins pratiques mais le stage garderait son but d'initiation a une pédagogie d'éducation Populaire.

3ème préoccupation : Dans une période aussi critique, où tout être conscient est convié à une réflexion grave et douloureuse, ne serait-il pas convenable d'éviter dans ce stage ces jeux de l'esprit qui accompagnent souvent les réalisations de l'équipe de l'Education Populaire laquelle, habituée à la critique des productions artistiques, se délasse parfois dans des oeuvres décadentes où l'intelligence subtile mais froide prend le pas sur une sensibilité profonde ? et peut-être même d'éviter un certain air de gaieté ?

réponse : Il est difficile de demander à une équipe de modifier son habituel comportement dont la tonalité, si elle est commune à tous ses membres, ne peut avoir sa source que dans le métier. La plupart des instructeurs sont à mi-chemin entre l'artiste et le pédagogue ce qui donne à leurs soucis professionnels un sérieux sans gravité (nous devions avoir une illustration des deux aspects de cette préoccupation : aucun stagiaire ne voulait s'inscrire spontanément à l'atelier de marionnettes, jugé indigne de gens sérieux ; mais bientôt cet atelier a été le lieu d'une invention créatrice particulièrement riche et heureuse à partir de laquelle il était relativement aisé à l’instincteur de faire de ses critiques et suggestions une leçon vivante et continuelle de goût).

Plus importante et mieux fondée était la crainte de subtilité un peu formelle surtout à l’occasion des présentations artistiques. Mais le Service des M.J.E.P. voulait lui aussi bénéficier de la réunion avec les Centres : si le contenu de ses activités devait être parfois jugé inadéquat il en tirerait enseignement. Aussi bien 1'un des buts du stage et non le moindre était une connaissance réciproque et non une démonstration de perfection.

Et si par extraordinaire, étant donné les circonstances, on y riait, ce serait la marque de l'humanisme.

4ème préoccupation : Les Centres Sociaux s’adressent à une population; musulmane et une grande partie de son personnel est musulman. L’équipe des M.J.E.P. s’est souvent adressé à des publics mélangés mais presque jamais à un public uniquement masulman. Ses activités ne sont-elles pas surtout valables pour un public européen ?

réponse : L’Education Populaire a des activités diverses dont la construction du stage met en relief trois aspects. Dans les ateliers, méthodes actives : l’instructeur y a pour tâche d’aider le stagiaire à s’exprimer en toute liberté et de le conduire à partir de cette expression spontanée à une forme plus disciplinée mais qui conserve la naïveté de la première expression. Elles offrent donc au contraire le moyen de connaître la sensibilité et l’imagination d’une collectivité. Aussi peu autoritaires que possible, ces méthodes peuvent servir aux Centres Sociaux à trouver les formes adaptées à leur public qu’ils recherchent.

Dans la présentation d’oeuvres il n’y a pas de méthodes mais des procédés pédagogiques qui tentent de faciliter l’abord des oeuvres sans leur ôter, par la vulgarisation, leur beauté originale. Il s’agit de mettre le stagiaire, qui s’entraîne dans l’atelier à l’acquisition des éléments d'un langage universel, devant des oeuvres dont les créateurs ont pliée ce langage à une discipline sévère pour aboutir à une beauté.

L’Education Populaire n’espère de ces présentations, grâce à la reconnaissance des éléments étudiés et au choc de la qualité, que la disparition d’un sentment d’étrangeté, le respect à la place de l’habituelle dérision, et dans le meilleur des cas, l’invitation au travail personnel et à l’effort indispensable à la formation du jugement esthétique.

Elle n’espère donc pas l'admiration et ne la force pas. Les oeuvres pré-présentées seront diverses. L’accueil divers et souvent imprévisible qui y sera fait éclairera les éducateurs attentifs qui seront peut-être surpris de constater que les lignes de partage ne sont pas toujours celles de deux civilisations.

Par ailleurs la séance de fin d’après-midi prévoit 3/4 d’heure pour des critiques et des débats. Chacun pourra donner son point de vue sur la présentation de la veille. C’est le moment du stage consacré à l’expression verbale. Une présentation ”choquante” peut donner lieu à d’utiles débats. Ce stage est de pédagogie non de séduction.

Quant à l’adaptation des présentations à un public uniquement musulman seule l’Equipe Théâtrale du Service des M.J.E.P. y a consacré une partie de ses recherches. Le reste du Service dont la mission essentielle n’est pas de s’adresser à un vaste public réuni mais de former des animateurs a senti moins vivement le besoin de styles adaptés.

Aussi bien n’est-il pas question pour les Centres Sociaux d’adopter cet aspect du travail de l’Education Populaire dont son personnel néanmoins peut tirer profit. L’Education Populaire espère justement de sa collaboration avec les Centres la possibilité future d’un travail au profit de la population musulmane.

LES RESULTATS DU STAGE

Seuls les responsables des Centres Sociaux sont bons juges des résultats de ces dix jours de travail. Néanmoins nous allons énumérer ceux qui peuvent être espérés sans trop de naïveté. Nous les considérons du point de vue des Centres,

D’abord l’éveil de l’imagination une mobilisation des ressources de l'esprit. A l’entrain joyeux des plus jeunes a correspondu la réflexion critique et active des plus mûrs.

Ensuite :

L’acquisition de nouveaux moyens d’expression

Trop de stagiaires, à notre regret, ont suivi les ateliers de photographie et de cinéma. Ils avaient antérieurement acquis la connaissance des auxiliaires visuels ils l’ont complétée. De même, le montage radiophonique n’était pas une découverte, encore que l’atelier montage ait été une rude école de démocratie pour les aristocrates individualistes. Mais tous ont découvert qu’à côté de ces auxilaires il y avait le corps humain, un langage gestuel qui au lieu d’être bavard et désordonné pouvait être émouvant et beau ; ils ont eu la preuve que si l’image était reine il y avait bien d’autres moyens de persuader et de convaincre, et que les techniques issues des arts dramatiques et plastiques avaient une grâce particulière et une efficacité plus humaine. Les techniques audio-visuelles sont le fruit d’une civilisation technicienne, les autres ont été et sont le présent dans toute culture. Elles rassurent l’être, le reliant à une tradition et en outre, rapprochent ceux qui les emploient de ceux qui les subissent.

Une méthode propre à la recherche d'un style d’expression:

Si en effet il peut paraitre absurde de proposer des "activités culturelles” a une population démunie, il est par contre très souhaitable de donner aux matériaux de diffusion des connaissances de base la forme la plus belle possible. Ces moyens d’expression doivent avoir un style. Mais quel style ?
Nous avons vu que les méthodes actives peuvent aider à le trouver. Dans cette recherche le comité des méthodes et le laboratoire des Centres doivent d'abord se mettre à l’écoute de la base.

Un spectacle adapté au public des Centres

Le montage dramatique audio-visuel, tel que nous l’avons vu à la fin du stage, retient du Cinéma l’abondance des images et des sons, du Théâtre la présence humaine, l’intimité, le côté artisanal ; il évite l'écueil du répertoire, à vrai dire, presque jamais adapté à tous, et permet I’illustration d’un récit, d’un conte, genres familiers. Des campagnes d’éducation de base pourront être soutenues, aidées par ce moyen qui, employé avec un souci de beauté, doit séduire le public et former son goût.

Des éducateurs, conscients à la fois de l’extraordinaire attrait du cinéma et de ses méfaits, se doivent d’essayer d’isoler certains éléments de sa magie et les employer sous des formes humanisées. Le dernier exercice du stage, malgré ses imperfections était l’ébauche extrêmement encourageante d’une technique à l’étude de laquelle l’Education Populaire travaille.

Pour que le style de ces montages soit adapté à une communauté ils doivent être le travail d’une équipe variée dans sa composition et proche de cette communauté. Le résultat final du stage reflétait fidèlement la diversité de l’imagination des stagiaires. Il était une récompense précieuse pour les organisateurs, une preuve visible, évidente, de l’intérêt de la collaboration des deux services.

Ainsi ce stage a-t-il au moins donné des méthodes pour inventer, construire des formes belles, imprégnées de l’imagination et de la sensibilité de leurs auteurs. Ce qu’il faut couler dans ces formes, les Centres Sociaux le savent.

Mais quand un stage d’Education Populaire comprend des adultes observateurs et critiques, il est toujours le lieu d’une grande fermentation des esprits. Les objections préalables que nous avons analysées plus haut ont accompagné tout le stage sous une forme affaiblie, comme un contre-point. Elles sont un avatar de la querelle des Anciens et des Modernes qu’il peut paraitre bien vain de retrouver à l’échelon le plus humble des tentatives éducatives.
Au contraire, puisque dans toute démarche éducative tout homme est engagé, le résultat le plus profond du stage est peut-être d’avoir donné aux deux services une occasion de ressentir vivement la gravité de leur engagement.

C. FAURE


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