MAX MARCHAND, DE MOULOUD FERAOUN
ET DE LEURS COMPAGNONS
Pour la vérité sur l’assassinat de Maurice Audin
La Ligue des droits de l'homme, Mediapart et L'Humanité vous invitent à un débat sur l'assassinat de Maurice Audin à Alger en juin 1957, suivi d'un appel pour la reconnaissance de ce crime d'État et des violations des droits de l'homme par l'armée française durant la guerre d'Algérie. Rendez-vous au Tarmac, à Paris, lundi 24 mars à 19 heures.
Le 11 juin 1957, Maurice Audin, jeune professeur de mathématiques à la faculté des sciences d’Alger et membre du parti communiste algérien, est arrêté à son domicile par des hommes de la 10e division parachutiste commandée par le général Massu, que les autorités françaises de l’époque avaient chargé du maintien de l’ordre à Alger. Emprisonné et torturé, il n’est jamais réapparu.
Nous sommes alors au plus fort de ce qu’on a appelé la Bataille d’Alger. À l’insurrection algérienne déclenchée par le FLN le 1er novembre 1954 n’a répondu de la part des hommes politiques de la IVe République finissante qu’une répression policière et militaire frappant aveuglément l’ensemble des militants nationalistes algériens. Elle s’est accompagnée d’un refus d’entendre les autres courants de la société algérienne qui n’ont eu d’autre choix que de rallier le FLN. Une République aux institutions fragiles a cru trouver la solution à ce qu’elle a qualifié d’« événements d’Algérie », et non de guerre, en donnant carte blanche à une armée désorientée par la défaite de 1940 et surtout celle, récente, de mai 1954 en Indochine.
En son sein, des officiers, prêts à tout pour ne pas vivre une nouvelle déroute, n’ont pas hésité à recourir aux pires méthodes. Ils adhèrent à une théorie de la « guerre moderne » ou « guerre révolutionnaire », enseignée à l’École de guerre, reposant sur une répression massive, échappant totalement aux principes des Conventions de Genève sur le traitement des populations civiles ou celui des prisonniers de guerre. Enseignée et pratiquée d’abord officiellement dans le Constantinois, dès 1955, sous l’égide du super-préfet Maurice Papon, la torture s’est généralisée d’un bout à l’autre du pays.
Comme l’a dit l’historien Pierre Vidal-Naquet, la torture fut une pratique institutionnelle, non seulement dans l’Allemagne de Hitler et dans l’URSS de Staline, mais aussi par l’armée française durant la guerre d’Algérie ; même s’il faut se garder de considérer tous les combattants français d’Algérie, appelés comme militaires de carrière, en bloc, comme des tortionnaires. Cette pratique s’est déployée avec une particulière acuité dans l’année 1957. Une pratique que quelques militaires prestigieux, y compris parmi les officiers parachutistes comme le général Pâris de Bollardière, le colonel Hubert de Séguins-Pazzis ou le commandant Pierre Dabezies ont rejetée, au risque d’en être sanctionnés. Une pratique à laquelle beaucoup, parmi les appelés mobilisés massivement à partir du début de 1956 pour vingt-sept mois de service militaire par le gouvernement socialiste de Guy Mollet encouragé par le vote, en mars, des « pouvoirs spéciaux », ont été directement confrontés.
Depuis janvier 1957, à Alger, une nouvelle étape a été franchie dans la pratique de la torture avec la décision du ministre-résident Robert Lacoste de confier la responsabilité du maintien de l’ordre au général Massu et à sa 10e division parachutiste. Sous ses ordres, il a mis en place une coordination spécifique confiée au commandant Aussaresses. Maurice Audin, dès son interpellation le 11 juin, a été emprisonné et torturé par ces parachutistes dans leur centre de détention d’El Biar. Le lendemain, Henri Alleg, ancien directeur du journal Alger républicain, a été à son tour arrêté au domicile d’Audin. Il témoignera de leurs tortures dans son livre La Question. Le 22 juin, la jeune épouse de Maurice Audin, Josette, reçoit la visite de deux parachutistes qui lui disent « Vous croyez le revoir un jour, votre mari… Espérez, vous pouvez toujours espérer… » et parlent de lui au passé. Quand, le 1er juillet, elle est reçue par le colonel Trinquier, il lui dit que, le 21 juin au soir, au cours d’un transfert où il avait été assis seul, non menotté, à l’arrière d’une jeep, son mari s’est évadé. Elle ne croit pas une seconde à cette fable, les disparitions de prisonniers lors d’une tentative d’évasion étant à l’époque une couverture habituelle pour des exécutions sommaires. Elle accuse les parachutistes de l’avoir tué et dépose plainte pour homicide volontaire.
Elle ne cessa ensuite d’essayer de solliciter des soutiens pour tenter d’apprendre la vérité. C’est dans ces conditions que fut organisée, le 2 décembre 1957, la soutenance à la Sorbonne de la thèse de doctorat in absentia de Maurice Audin, qui fut en même temps une manifestation solennelle de protestation de l’université française contre les pratiques de l’armée en Algérie. Le Comité Maurice Audin a été constitué, présidé longtemps par Pierre Vidal-Naquet. Il a été suivi depuis peu par l’association Maurice Audin qui a récemment remis un prix à une jeune mathématicienne algérienne. Mais ses efforts se sont heurtés à un lourd silence de l’État. Une ordonnance de non-lieu a été prononcée en 1962. Une nouvelle plainte déposée en 2000 pour séquestration et crime contre l’humanité n’a débouché sur aucun résultat.
Depuis les articles parus dans Le Nouvel Observateur, en mars 2012, de Nathalie Funès, qui ont révélé qu’Audin, d’après les carnets du colonel Yves Godard, commandant alors la zone Alger-Sahel en 1957, aurait été tué, sur ordre, par le lieutenant Gérard Garcet ; depuis les propos tenus par Aussaresses, peu avant sa mort, rapportés par Jean-Charles Deniau en janvier 2014, dans son livre La vérité sur la mort de Maurice Audin, qui confirment le nom de l’exécuteur et révèlent que l’ordre de tuer venait du général Massu ; les autorités françaises ne peuvent plus continuer à se taire. La fable de l’évasion d’Audin avait depuis longtemps volé en éclat, la thèse de sa mort accidentelle lors d’une séance de torture est fortement mise en doute.
Les citoyens d’aujourd’hui ont le droit de connaître l’enchaînement des décisions qui ont permis que se déploient à cette époque à Alger un tel arbitraire et une telle violence. Le rôle des gouvernements présidés alors par Guy Mollet puis Maurice Bourgès-Maunoury, celui du ministre résidant en Algérie Robert Lacoste doivent être connus. Il ne s’agit pas seulement d’une question d’histoire, c’est un enjeu civique.
Des questions importantes se posent. S’il y a eu ordre de tuer, a-t-il été partagé par le ministre résident Robert Lacoste ? Quelle connaissance en ont pu avoir d’autres membres du gouvernement français, présidé alors par Maurice Bourgès-Maunoury, qui était en train de se mettre en place ? Dans quel but un tel ordre aurait-il été donné ? Les documents rendus consultables par l’arrêté du ministre de la Défense du 1er février 2013, dont il a remis copie à Josette Audin, ne contiennent aucun élément essentiel.
La soirée organisée lundi 24 mars par la Ligue des droits de l’Homme, Mediapart, L’Humanité, avec les Amis de L’Humanité et les Amis de Mediapart, en présence de sa veuve Josette Audin, débouchera sur de nouvelles réflexions et de nouvelles interpellations. Un film et un débat seront suivis d’un appel. Faisant écho à celui des douze publié le 31 octobre 2000 par L’Humanité, il demandera la reconnaissance de ce crime d’État qu’a été l’assassinat de Maurice Audin, ainsi que la pratique de la torture et les violations massives des droits de l’homme commises par l’armée française durant la guerre d’Algérie.
Le Tarmac
159, avenue Gambetta
75020 Paris
Renseignements-réservations : 01 43 64 80 80
resa@letarmac.fr
Gilles Manceron